Perdu·e dans un océan d’informations sur les multiples possibilités de la sexualité, il est devenu difficile de s’informer correctement. On navigue entre les réseaux sociaux, les blogs, les podcasts ou la pornographie, dans la quête du havre parfait où se trouveront toutes les réponses à nos questions. À l’image de notre illustration réalisée par l’artiste Louis Méheut (@griimaaa). Problème : chacun·e a son influence et prêche sa bonne parole, pour le meilleur… comme pour le pire.
« Je pense que les interventions sont utiles mais pas toujours très complètes, surtout parce qu’il y a souvent une gêne ou un tabou à ne pas aborder. On devrait davantage traiter des relations avec un·e partenaire, nous expliquer la première fois, mettre un point particulier sur le consentement et le respect de l’autre. »
Erine a 16 ans. Comme beaucoup de jeunes de son âge, la découverte de la sexualité fait partie de ses préoccupations quotidiennes. Une multitude de questions et d’inquiétudes la traverse, mais reste souvent sans réponse malgré les quelques interventions dispensées par l’Éducation nationale. Ces interventions, un ambitieux projet de contribution à « l’apprentissage du respect du corps humain », à « une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes » et à la sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles (VSS) par l’instauration de séances d’information et d’éducation à la sexualité dans toutes les écoles, collèges et lycées, sont peu respectées. Un constat qui n’est pas sans conséquence pour la construction de chacun·e.
À la question « Pour toi, qu’est-ce que la sexualité ? », il n’est ainsi pas surprenant d’entendre des réponses d’adolescent·es résumer cela à « un acte permettant de faire des enfants ». Une vision restrictive de la vie sexuelle, réduite à un but purement reproductif, ignorant les problématiques qui y sont liées. Une mésinformation criante qui contraint les jeunes à prendre le sujet à bras le corps et à tenter de s’informer par elles et eux-mêmes, sans avoir forcément les bons outils à disposition. Entre influenceur·euses abordant le sujet, publicités, médias et pornographie, il est facile de se sentir très vite submergé·e par le flot d’informations qui pullulent sur la toile à libre disposition. Qu’est-ce qui est qualitatif et fiable ? Qu’est-ce qui relève d’une information sourcée et, au contraire, de fake news et de désinformation ? Comprendre les médias et les informations qui défilent est essentiel pour se construire en tant que citoyen·ne et développer son esprit critique, y compris dans sa sexualité. Pour la Fabrique de l’info, nous nous sommes intéressées à l’accès à l’éducation et à l’information à la vie sexuelle, sujet délaissé et encore tabou, pourtant hautement d’actualité.
Une éducation dysfonctionelle… voire inexistante
Trois séances par an. C’est le nombre minimum d’interventions sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EARS) exigé depuis 2001 par l’article L312 – 16 du Code de l’éducation. Pourtant, nous sommes encore loin du compte. Selon un récent rapport de l’Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR), seuls 15 % des écolier·es et des lycéen·nes et moins de 20 % des collégien·nes en bénéficient. Un chiffre alarmant, qui reflète un manque crucial de temps et de moyens accordés à ce sujet.
Résultat ? C’est sur internet que les jeunes s’orientent, à une époque où l’accès aux médias numériques (journaux en ligne, pure-players, réseaux sociaux et sites pornographiques) est largement démocratisé, directement accessible depuis le smartphone. Mais cette auto-éducation a ses limites. Sans outil adapté, il est possible de se perdre dans le flot d’informations à leur disposition et de mal s’informer, prenant pour argent comptant des informations fausses, issues de sources peu fiables. Encore davantage chez les plus jeunes qui manquent d’éducation aux médias.
Savoir s’informer correctement, en comparant les sources d’un contenu numérique auquel on est exposé et en étant capable de vérifier sa fiabilité, est donc essentiel pour ne pas se laisser prendre dans le flot croissant de fake news et de désinformation. Cette éducation aux bonnes pratiques, c’est l’éducation aux médias et à l’information – l’EMI donc – qui s’en charge. Instaurée dès 1983 avec la création du CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information), l’éducation aux médias et à l’information a pour volonté de permettre à chacun·e d’apprendre à « […] aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie ». Par son programme, l’EMI tend à former les jeunes à « distinguer les sources d’information, s’interroger sur la validité et sur la fiabilité d’une information, son degré de pertinence ». Des savoirs-faire qui peuvent s’appliquer dans la recherche d’informations sur la sexualité des jeunes sur la toile, et aider à lutter contre les dérives du cyberharcèlement.
Problème : les interventions d’EMI ne sont pas obligatoires et systématiques, mais ont lieu selon la bonne volonté des établissements scolaires et des professeur·es. Par conséquent, tous·tes les élèves ne disposent pas de formation EMI, et ne sont donc pas équitablement armé·es pour bien s’informer par elles et eux-mêmes.
Une prise de parole spontanée
« Là où je me sentais légitime de parler et où je voyais vraiment un manque, c’était sur l’éducation sexuelle, sur tout ce qui touchait au plaisir », justifie Clémence, connue sous le pseudonyme @clemityjane. Comme bon nombre de citoyen·nes, elle ne trouvait pas les réponses à ses questions sur la vie sexuelle et ses plaisirs. Elle a donc décidé de s’emparer elle-même du sujet en créant une chaîne YouTube dédiée aux conseils sexo liés à l’utilisation des sextoys et autres jouets coquins. « J’étais un petit peu perdue parmi l’offre gigantesque qui se développait sur le marché et je me disais qu’il y a sûrement besoin de reviews, de quelqu’un qui teste avant et qui dise un peu quoi acheter, si ça vaut le coup et comment les utiliser. Informer en fait. »
Pour Lucile Bellan, journaliste indépendante spécialiste de l’intime, démocratiser l’éducation à la sexualité via des médias alternatifs et les réseaux sociaux est nécessaire, face à un système éducatif défaillant et « décorrélé de la réalité humaine », de ce que les élèves vivent. « C’est vraiment par l’incarnation et le témoignage qu’il se passe quelque chose. »
Ce phénomène de libération de la parole sur l’éducation à la sexualité s’est largement développé ces dernières années, notamment pendant la crise sanitaire du Covid. @orgasme_et_moi et ses 714 000 followers, le quasi million d’abonnés de @jouissance.club, mais aussi @jemenbatsleclito, @vendredinuit_off, @mercibeaucul_… Ils se comptent par dizaines, entre les comptes Instagram, TikTok, les chaînes YouTube et les podcasts sur le sujet. Conseils sexo, témoignages, humour, expériences personnelles et échanges avec les abonné·es, autant de formules qui séduisent et captent l’attention de plus en plus d’internautes, de tout âge. Ludi Demol Defe, chercheuse-doctorante sur l’accès à l’information concernant la vie sexuelle et affective des adolescent·es et spécialiste de la consommation pornographique chez les jeunes, affirme que l’éducation à la sexualité se construit en multipliant « les portes d’accès à l’information, quelles qu’elles soient, pour justement avoir différents points de vue, pouvoir les recouper, pouvoir se faire son propre avis. »
Ainsi, la pornographie occupe, elle aussi, une place prépondérante dans la découverte à la sexualité pour les jeunes. Selon les derniers chiffres de l’Arcom publié en mai 2023, en 2022, 30% des internautes de moins de 18 ans ont fréquenté au moins une fois chaque mois un site pornographique, dont 9% chaque jour. Lucile Bellan relativise le recours à la pornographie, « très diabolisé » selon elle : « il y a du bon il y a du mauvais dans la pornographie, mais ça participe à l’éducation à la sexualité. »
Un constat nous frappe dans nos recherches : la surreprésentation de femmes qui s’emparent du sujet sur la toile. En effet, peu de comptes ou chaînes YouTube sont animés par des hommes : @tubandes, @mister.ose ou encore @lovs.docu. Ils se comptent sur les doigts d’une main. « Je pense que [les femmes] sont plus crédibles aux yeux des gens pour aborder ces sujets-là », concède Ivo da Silva, du compte @coeurnichons. Basé à Bordeaux, ce créateur de contenus et journaliste s’évertue à vulgariser l’éducation à la sexualité par l’humour. Si sa formule fonctionne, il n’en reste pas moins lucide : plus de femmes se sentent légitimes à prendre la parole sur la sexualité car c’est, dans notre structure sociétale, un rôle maternel et genré.
Discréditer des faux discours : une nouvelle approche critique des médias
Sur Internet, tous les types de contenu sont en libre accès, comme des vidéos enseignant comment bien vivre sa sexualité, comment séduire une femme, ou encore « trois manières de jouir à coup sûr ».
D’un côté, on retrouve la team des idées arrêtées, des créateurs·trices persuadé·es d’avoir LA technique ultime alors qu’ils et elles sont surtout loin de la réalité. D’un autre côté, il y a celles et ceux qui reprennent les préjugés, les doutes et les craintes sur notre sexualité et les expliquent, les vérifient. C’est le cas de Moules Frites, une chaîne numérique créée par l’association belge O’Yes, se revendiquant « 100% dédiée au bien-être et à la sexualité ». Entretiens et confidences face caméra, témoignages, intervention d’expert·es et quiz, une pluralité de formats est mise gratuitement en ligne pour les jeunes. « L’objectif de Moules Frites, c’est de donner toutes les informations qui sont de qualité, vérifiables et régulièrement mises à jour à un maximum de jeunes », explique Lola Dubrunfault, chargée de communication pour O’Yes. Dans un souci de transparence et de qualité de l’information, chacune des publications de la chaîne, que ce soit un podcast, une vidéo ou une mise en page graphique, dispose, à la fin, d’une référence pour renvoyer les jeunes vers des structures, sites internet ou expert·es estimé·es qualitatif·ves et fiables.
Vérifier ses sources, proposer un contenu sûr et fiable. Des critères que ne peuvent ignorer les créateur·ices de contenu, à une époque où la mésinformation et les fakes news se propagent à vitesse grand V au rythme des clics et autres retweets. Ainsi, la légitimité des internautes à prendre la parole peut être discutée. Certain·es, comme Charline du compte @charline.sagefemme, estime apporter « une part d’expertise qui vient compléter des témoignages ». Pour elle, « c’est important qu’on puisse trouver de l’information vérifiée, pas juste des impressions, pas juste des ressentis ». Sa qualification de sage-femme lui permet ainsi d’apporter une parole de professionnelle.
Mais pour autant, tous·tes les créateur·ices de contenu ne sont pas forcément des professionnel·les diplômé·es. Lucile Bellan n’y voit pas de problème, car pour elle, « on apporte tous quelque chose là-dessus à son échelle ». À soi ensuite de discerner le contenu fiable du moins fiable, d’où l’utilité d’une réelle formation égalitaire en éducation aux médias et à l’information. Et un réel dialogue, comme le souligne Camille Bataillon, derrière le podcast Camille parle sexe : « [Les jeunes] recherchent des réponses à leurs questions et ils les trouvent plus ou moins sur les médias comme le porno, sur des forums, mais ils ne trouvent pas de réponses adaptées. Ça demande un accompagnement personnalisé. Donc oui, il faut vraiment débunker un petit peu les croyances, rassurer et casser cette normativité, dire qu’il n’y a pas de norme dans la sexualité. »
Tova Bach @tova_bach
Kim Dusznyj @kim_dusznyj