« Fact-checker », est-ce vraiment efficace ? Ces dernières années, les contenus et services dédiés au fact-checking se sont multipliés pour répondre au flux de désinformation sur les réseaux sociaux. Laurent Bigot, Julie Charpentrat et Lucie Gomes reviennent sur l’intérêt et les limites de cet outil journalistique.
La rumeur et la manipulation n’ont pas attendu l’avènement du téléphone portable et des réseaux sociaux, mais ces derniers ont considérablement accentué l’étendue du phénomène de désinformation et de défiance envers les journalistes. Pour répondre à cette problématique, des services et contenus dédiés au fact-checking se sont développés. La vérification a toujours fait partie du travail journalistique, mais le fact-checking est devenu une rubrique spécifique dans les médias depuis les années 2000. Le problème, c’est que malgré la multiplication de ces formats, la désinformation reste massive et a des conséquences, par exemple sur la santé publique ou la vie démocratique.
Des effets modérés face à la désinformation de masse
Pour Laurent Bigot, directeur de l’École Publique de Journalisme de Tours et enseignant-chercheur, le fact-checking « est un outil dans la boîte à outils du journaliste ». Mais cet outil, comme les autres, ne peut pas atteindre un public aux « croyances fortement ancrées ». Il souligne également un autre problème : « Ce ne sera jamais les médias qui vont permettre de venir à bout de la désinformation. Quand elle circule sur des réseaux sociaux, l’audience se chiffre en milliards d’utilisateurs ».
Julie Charprentrat est adjointe à la rédaction en chef de l’Investigation numérique à l’Agence France Presse depuis 2022. Elle fait donc partie d’AFP Factuel, un service créé en 2017. « Notre système de veille et de monitoring suppose de longues heures passées sur tous les réseaux sociaux ». Un travail important mais dont elle ne nie pas l’efficacité limitée, tant le flot de désinformation est considérable : « Si on ne fait rien la désinformation déferle ».
« Si on ne fait rien la désinformation déferle »
Julie Charprentrat, adjointe à la rédaction en chef de l’Investigation numérique à l’Agence France Presse
Un outil à repenser
« Souvent, dans les médias, on va s’arrêter à certifier l’information ou à l’invalider. Et le problème en s’arrêtant à cette étape, c’est qu’on ne s’adresse qu’aux auditeurs, aux lecteurs, qui font déjà confiance aux médias ». Avec un regard extérieur au journalisme, Lucie Gomes, maître de conférences en didactique de l’histoire [elle s’intéresse à la manière de l’enseigner, ndlr], estime que le fact-checking gagnerait à faire davantage appel à l’esprit critique. Elle pense que la rapidité n’est pas qu’une qualité dans la vérification des informations. « En réduisant le timing, on perd de l’info et il y a même des dérives, où les médias fact-checkent en direct. C’est intéressant, mais pas suffisant pour avoir une réflexion critique. »
Finalement, tous·tes s’accordent sur un point : les journalistes ne peuvent résoudre seul·es le problème. Pour mieux préserver les citoyen·nes, « il faudrait généraliser, massifier l’éducation aux médias », affirme Julie Charpentrat. « On ne peut pas faire l’économie d’un travail en profondeur sur le domaine informationnel, qui est la clef de la vie citoyenne », conclut Laurent Bigot.
Pour aller plus loin : VIGINUM, face aux ingérences numériques étrangères
VIGINUM, vous connaissez ?
Créée en 2021 par le gouvernement français, cette agence se consacre surtout à la protection des rendez-vous électoraux, détecte et caractérise les ingérences numériques étrangères. Face à la désinformation stratégique, orchestrée par des États, plusieurs pays se dotent désormais de ce type d’agence. On vous explique.
Marthe Dolphin @DolphinMarthe
Gilles Foeller @gillesfoeller