Fdesouche, site créé en 2005, se targue de « réinformer » son lectorat. Le blog ressemble à s’y méprendre à un média traditionnel. Confusion qui révèle une stratégie bien rodée.
Si l’habit faisait le moine, le blog Fdesouche serait déjà rentré dans les ordres. L’apparat et l’art de feindre son appartenance à la catégorie des médias – avec un grand M – égarent les internautes. Ce site issu de la fachosphère ressemble à celui de grands sites d’information reconnus. Une page d’accueil qui reprend les codes journalistiques. Des contenus « à la Une ». Un découpage sous forme de rubriques. Des « articles » sourcés et enrichis d’images, de vidéos, de tweets. Didier Desormeaux, co-auteur de l’ouvrage Le complotisme : décrypter et agir, éclaire à ce sujet : « En employant des codes journalistiques classiques, ils veulent montrer que ce sont eux les véritables journalistes et ainsi, crédibiliser leur démarche ». Cela, sur des sujets en particulier.
Blog ou média ? That is the question
Tous les ingrédients visuels et grammaticaux sont listés pour réaliser la recette d’un bon média d’information. Mais derrière un vernis appétissant, se cachent des informations tronquées, une obsession pour l’immigration et des entorses répétées à l’éthique.
En tant que revue de presse, « la stratégie de Fdesouche consiste à rééditer vaguement, couper la partie qui ne va pas dans leur sens dans l’article, changer le titre pour l’aggraver et mettre une photo terrorisante », selon Ysé Vauchez, doctorante en sciences politiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Outre amputer un article du contradictoire, le site a publié une liste de personnalités politiques et militantes présentées comme « islamogauchistes ». Le contenu a été révélé par le journaliste Taha Bouhafs en août 2021. Il porte plainte contre X pour « traitement illégal de données à caractère personnel ». Le vendredi 17 septembre 2021, la Commission Nationale de l’Information et des Libertés (CNIL) annonce s’auto saisir de cette affaire. Le parquet de Paris a ouvert une enquête en novembre de la même année. Le fondateur du site, Pierre Sautarel, se défend auprès de franceinfo qu’il s’agit d’ « un travail de journaliste […] Il n’y a rien d’immoral à copier-coller. Ce n’est pas de l’intimidation ou du fichage. L’erreur c’est de l’avoir fait sous forme de tableau ».
Mais le fruit du contenu de Fdesouche n’est pas seulement digéré par des internautes. Certaines personnalités politiques d’extrême droite semblent aussi y goûter. Un élu du Rassemblement National, Gilbert Collard, s’inspire d’informations issues de Fdesouche pour alimenter sa question au gouvernement. En 2010, Marine Le Pen affirme : « Fdesouche, c’est un média à part entière ». Cela dit, il ne se considère pas comme un site d’information classique, mais se targue de propager de la « réinformation ». A ce sujet, Pierre Sautarel déclare, dans une interview accordée en 2016 à Valeurs actuelles, « que la réinfosphère est une presse non subventionnée tenue par des non-professionnel·les, et qui a pour vocation de pallier les oeillères et tabous de la presse mainstream ». Contacté à deux reprises, le site n’a pas répondu à nos demandes d’interview.
Islam, immigration et insécurité
« Merci Fdesouche pour donner la vérité face à BFM qui la cache !!! », écrit @FoxreadyA, un utilisateur de X (ex-Twitter) qui retweete régulièrement les contenus de Fdesouche. C’est en se basant sur ce postulat de médias mensongers, que les plateformes dites de « réinformation » s’immiscent sur la scène numérique. Selon Ysé Vauchez, la notion fait écho à « un mouvement ancré à l’extrême droite qui porte son action collective et ses efforts sur la maîtrise de la production d’informations ». Et cela, pour imposer leur idéologie identitaire, nationaliste et xénophobe.
Il ne faut pas plus de cinq minutes de navigation sur le site de Fdesouche pour lister leurs crispations. Elles se catalysent sur l’islamisme, l’immigration et l’insécurité : le « triptyque des trois i ». Cette expression est théorisée par David Doucet et Dominique Albertini dans l’ouvrage « La fachosphère. Comment l’extrême droite remporte la bataille d’Internet ? ».
Une preuve de l’omniprésence de ces trois sujets ? 82% des publications de Fdesouche abordent le triptyque des trois « i », selon les travaux de Stéphanie Lukasik, docteure en sciences de l’Information et de la Communication à l’Université d’Aix Marseille. Elle a décortiqué la rubrique Société de Fdesouche pendant cinq mois, de novembre 2017 à mars 2018, et débusqué la masse des contenus identitaires.
Un algorithme à droite
Ces publications se partagent, dans un système endogène, du site Internet Fdesouche à son compte X qui comptabilise 210 000 abonné·es, et inversement. Tout cela sur le Net. La mouvance d’extrême droite se caractérise par une présence numérique précoce. Le premier site Internet créé par un parti politique n’est autre que celui du Front National (FN), en 1996.
Et les règles du jeu de l’algorithme de X jouent en leur faveur. Une étude de la plateforme elle-même révèle, en 2021, que son algorithme de recommandation favorise les contenus de droite. Sans pouvoir expliquer pourquoi.
Élément de réponse : la bulle de filtre qui entoure ce genre de contenus extrémistes. Cette bulle entraîne une exposition répétée aux mêmes publications, suggérées grâce aux données récoltées par l’algorithme de recommandation. Résultat : plus les internautes consultent des tweets de Fdesouche, plus leurs publications apparaîtront dans leur fil d’actualité X. Un cercle vicieux.
Marie Colin @Marie_Colin_
Léa Petit Scalogna @LeaPetitSca