À Jarnac, l’atelier d’éducation aux médias du collège Jean Lartaut bouscule les clichés sur le rapport à l’information en territoire rural. Reportage.
À peine sortie de la nationale, un panneau indique Jarnac à 27 km. Une route zigzaguant entre de larges champs de vignes rougies qui sont destinés à la production de cognac. Un pont en pierre survolant la Charente dévoile le cœur de la petite ville de 4 500 habitant·es. On cherche le collège Jean Lartaut qui, depuis trois ans, mène des ateliers médias. Le buraliste du Narval, place du Château, nous indique le chemin le plus court. Entouré de piles des journaux locaux comme La Charente Libre, il lance avec fierté : « Ici, on connait les journalistes. Nous on est la ville de Mitterrand ».
Vingt minutes plus tard, en longeant la rue de Verdun, une mélodie résonne. L’orchestre de l’École de musique répète sous un préau du collège. Après quelques pas, les baies vitrées du centre de documentation et d’information (CDI) attirent le regard. À l’intérieur, des chaises roulantes futuristes portent une quinzaine d’élèves de l’option éducation aux médias et à l’information (EMI).
Concevoir un JT
À l’image d’un club, les étudiant·es se retrouvent deux heures par semaine sous l’égide de Corinne Dumais, documentaliste passionnée, formée au Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI). Depuis 2020, elle propose cette option de la 5ème à la 3ème. Au programme, la création d’un journal télévisé conçu par les jeunes de 12 à 15 ans. Tournage, montage, voix off, les 16 participant·es s’exercent comme des journalistes professionnel·les pour raconter deux à trois fois par an les actualités de leur collège.
À peine assis, le sourire aux lèvres, Teddy, 13 ans, trépigne d’impatience. Ce mardi, la séance commence par un échange sur les médias avec deux professeur·es d’histoire. Les élèves listent ceux qu’ils connaissent : « BFM TV », « Hugo décrypte », « France Info », « Charente Libre et Sud Ouest » … Mais comme Teddy, ce qu’ils préfèrent, c’est le moment de passer derrière la caméra. Après une petite récréation, le club se rassemble pour une conférence de rédaction.
Laurence Pierre, professeure d’histoire, et Corinne Dumais, la documentaliste, sont des enseignantes passionnées. À l’image de leurs élèves, elles portent avec enthousiasme leur casquette de rédactrices en chef. « Nous allons débriefer plusieurs reportages sur le foyer du collège », annonce Laurence Pierre. Les jeunes maîtrisent déjà le jargon journalistique. « Ce serait bien de rajouter un micro-trottoir », propose timidement Côme au fond de la classe. Son camarade Teddy lance avec beaucoup d’énergie et d’assurance : « La voix off est trop monotone ». Apolline, 12 ans, qui débute dans le club, observe que les plans sont trop statiques. À l’issue d’un vote informel, les élèves élisent leur reportage préféré avant de le peaufiner pour la publication.
Fabrique du citoyen
À Jarnac, ce village connu pour être celui de François Mitterrand, le rapport aux journalistes, présent·es en nombre chaque année lors des commémorations de la mort de l’ancien chef de l’État, n’est sans doute pas le même qu’ailleurs. Malgré les inégalités territoriales, le CLEMI s’efforce de mettre en place un grand nombre d’actions dans le monde rural en partenariat avec des enseignant·es formé·es.
À Jean Lartaut, la direction de l’établissement, comptabilisant un peu plus de 450 élèves, a aidé à mettre en place cette option. La récente rénovation du collège, financée par le Conseil départemental de la Charente à hauteur de 10,6 millions d’euros, a permis notamment de se doter d’un studio de télévision. Pourtant, Corinne Dumais souhaite que davantage de moyens financiers soit alloués à l’EMI. « J’aimerais acquérir plus de matériel, des caméras et d’autres tablettes pour le montage. Jusqu’à aujourd’hui, je dois me contenter de l’enveloppe budgétaire du CDI », glisse l’enseignante. Le montant est utilisé également pour l’achat de livres et de matériels scolaires.
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Des améliorations nécessaires selon elle, car l’efficacité de l’éducation aux médias dans le collège n’est plus à prouver. « Ils apprennent la confiance en soi, le respect mais surtout la connaissance du paysage médiatique », explique Corinne Dumais. Ce moment de liberté et de création ouvre des portes à ces jeunes. De quoi déceler des vocations puisque certain·es envisagent même d’intégrer le métier. À l’image de Clément, ancien élève du collège, chargé du montage final.
La documentaliste insiste : « Cette option ne se veut pas élitiste, elle est ouverte à tous ». Faire tomber les clichés, c’est ce qu’elle espère : « Ils sont volontaires et très investis. Dans des milieux ruraux, on s’informe tout autant qu’ailleurs. C’est une priorité ». Elle ajoute que l’accès aux médias dépend surtout de l’environnement familial et social des enfants. Dans ce collège, où la majorité des élèves sont fils et fille d’ouvrier·es agricoles, la presse de référence reste locale avec La Charente Libre et Sud Ouest. Mais comme pour la plupart de ses camarades, Maëlys, 14 ans, s’informe sur les réseaux sociaux. Elle est abonnée à Hugo décrypte, un journaliste proche du milieu des youtubeurs.
Il est 17 heures. La chanson Ça c’est vraiment toi du groupe Téléphone résonne dans les murs du collège. Une sonnerie choisie par les élèves. Ils et elles quittent l’atelier après avoir répartie les futurs tournages. Au menu, le cross du collège en format micro-trottoir, l’élection des supers délégué·es à la mairie ou encore le projet intergénérationnel.
Retour place du Château, dans le bar L’Alambic à côté du bureau de tabac. Sur le comptoir, La Charente Libre et une télévision branchée sur France 2 animent les conversations entre les vieux et vieilles habitué·es. Un journal à la main, une sexagénaire lance en riant : « Nous lisons deux fois plus de journaux par ici. Les nationaux pour apprendre ce qu’il se passe en France et les locaux pour savoir ce qu’il se passe chez nous ». De quoi enterrer pour de bon les clichés sur la ruralité.
Sara Jardinier @Sara_Jardinier