Conflit Israël-Hamas : la guerre des images des journalistes
Samedi 7 octobre 2023, le Hamas attaquait Israël, entraînant un regain de tensions dans la région de la bande de Gaza. Face à un afflux inédit d’images publiées sans filtre sur les réseaux sociaux, les journalistes se sont mobilisés pour documenter le conflit, se confrontant aux fake news, à la propagande et à l’extrême violence. Le Monde, Libération, La Croix, l’AFP, France 24, TV5MONDE, BFMTV et France TV nous ont ouvert leurs portes afin de comprendre ce qui est aussi une guerre des images. Le point en cinq questions.
La guerre déclenchée le 7 octobre 2023 entre le Hamas et Israël s’inscrit dans un conflit long de plusieurs décennies. En 1948, Israël déclare son indépendance sur la base d’un plan de partage de la Palestine voté à I’ONU en 1947, qui prévoit l’existence d’un État juif, d’un État arabe et d’une zone internationale à Jérusalem. Depuis, les territoires palestiniens se réduisent du fait de la colonisation croissante d’Israël. En 2007, après plusieurs mois de guerre civile palestinienne, le Hamas, une organisation politique et militaire islamiste palestinienne qualifiée « d’organisation terroriste » par l’Union européenne, prend le pouvoir par la force dans la bande de Gaza. Régulièrement, des affrontements éclatent. Pour en savoir plus…
Comment respecter la dignité humaine en informant sur les massacres de civils israéliens, l’horreur des otages exécutés et la désolation des habitants gazaouis bombardés par Tel-Aviv ? « Si quelqu’un est vraiment dans une position humiliante, comme cette vidéo d’une otage germano-israélienne exhibée à l’arrière d’un pick-up, on ne peut pas diffuser, indique Aude Dejaifve, journaliste aux Observateurs, le service de fact-checking de France 24. Une femme nue, démembrée, en otage, ça fait plusieurs choses qui ne sont normalement pas montrables. Je ne crois pas que cette vidéo ait été utilisée par la chaîne au final. »
En vertu de la convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, les otages doivent « être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. » De fait, il est interdit de diffuser une image de l’un d’entre eux en situation d’otage. Pour cette raison, un compte officiel du Hamas sur Telegram a été bloqué le 16 octobre 2023 en France et dans plusieurs pays d’Europe pour avoir « enfreint la législation locale », indiquait le lendemain le réseau de messagerie. Une vidéo montrant Mia Shem, citoyenne franco-israélienne blessée et prise en otage, avait été mise en ligne.
En dehors des conventions internationales comme celle-ci, « il n’y a pas de loi en France interdisant la publication d’images de cadavres ou de contenus violents », constate Isabelle Veyrat-Masson, historienne et sociologue des médias, spécialiste de la représentation de l’histoire à la télévision. Par souci déontologique, les médias mettent tout de même en place des stratégies de contournement. « Si on pense que c’est une information importante mais qu’elle peut heurter les yeux les plus sensibles, nous floutons, indique Julia Delage, rédactrice en chef à BFMTV. Il y a aussi plein de fois où j’interdis que des images soient diffusées en habillage [les images qui tournent en boucle quand des gens parlent en plateau, ndlr]. Ces images doivent toujours être recontextualisées, soit dans un sujet, soit en plateau par nos spécialistes. On regarde la séquence, on s’arrête dessus, et on la décrypte. »
À France 2, « on fige l’image et on laisse le son parce qu’on estime que ça en dit suffisamment long et que ça évite quand même de complètement choquer les gens ou de les faire vomir », constate le grand reporter Valéry Lerouge. Autre méthode à TV5 Monde, média généraliste d’informations internationales : « Nous ne sommes pas du tout dans la recherche du spectaculaire avec des images horribles que d’autres auront déjà vu sur Internet, note le rédacteur en chef Xavier Marquet. On va plutôt se servir d’une voix off qui va raconter ce qu’il s’est passé. »
Raconter l’immontrable
Les mots à la place de l’image : c’est aussi la force de la presse, qui, au lieu de montrer l’horreur crue, peut la donner à voir à l’écrit. « La vidéo montre sept corps d’hommes entassés dans une salle, entre un lit et une télévision. Tous portent des vêtements civils, pas d’armes, pas d’uniformes. Les murs turquoise et carrelages sont inondés de sang. […] Seule une des victimes bouge encore, elle est achevée de quatre balles par un homme armé d’un fusil d’assaut. » Le 7 octobre 2023, Alexandre Horn, journaliste à CheckNews, le service de fact-checking de Libération, découvre, authentifie et enregistre une vidéo du massacre du kibboutz israélien de Nir Oz, à moins de trois kilomètres de la frontière avec Gaza. D’une durée de trente minutes, la vidéo a été diffusée en direct sur Facebook par un certain Kefah A., avant d’être relayée par différents canaux Telegram propalestiniens ou affiliés à la branche armée du Hamas. « Cet article ne contient pas l’ensemble de la vidéo en question, mais les captures d’écrans, même floutées, sont choquantes et peuvent heurter », précise le papier. Quelques lignes plus loin, le carnage transparaît derrière le flou de l’image. S’il cache le corps des victimes, les traces de sang sur le sol et sur les murs sont, elles, bien visibles. Une image ayant valeur de preuve et de documentation, la vidéo ayant été supprimée depuis.
« L’utilisation du flou peut diminuer d’un cran le choc ressenti par la vision brute de l’information, confirme Jean-Paul Santoro, psychologue clinicien spécialisé dans le numérique. Mais celui-ci reste élevé. Quand on sait que le flou d’une photo cache des cadavres par exemple démembrés, l’imagination s’occupe du reste. » Nicolas Valoteau, le directeur artistique de Libération qui s’est chargé de flouter l’image en question, estime qu’il est « compliqué de parler d’une image sans la montrer. Et puis ça a une mauvaise vertu : si on parle d’une vidéo sans montrer grand chose, les gens vont aller la chercher partout. »
D’où le débat autour des liens hypertextes. Faut-il les mettre lorsque ceux-ci mènent vers des contenus violents ? « J’aime autant les articles journalistiques où l’information n’est pas donnée directement de manière visuelle, note Jean-Paul Santoro. Cela permet de laisser le choix aux lecteurs ou aux téléspectateurs. Car il faut être clair : on n’est pas du tout obligés de se confronter à cette violence pour avoir une information. »
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Solène Robin @solenerobin_
Izia Rouviller @izia_rouviller